2023. ENTR'ACTE & EUROPA

(Journal de l'Orne)


(La Provence)


LE TRAVAIL D'ANIMATION (2006-2018)

Tom est tranquille, par l'association Entr'acte
Tom est tranquille, par l'association Entr'acte

Entr’acte, association créée par Daniel Griva en 1994 (et oui ! 20 ans), dont il est le président, présentait huit pièces de Laurent Kiefer. Ce dernier, arrivé en 2006, y anime depuis six ateliers, deux pour les élèves du primaire, deux pour les élèves du collège, un pour les lycéens, un pour les étudiants.
Comme il l’indique lui-même, sa mission, complémentaire à celle de l’Ecole Municipale d’Art Dramatique qui forme des acteurs destinés à devenir des professionnels, « est d’alimenter chez les enfants de tous âges le désir de construire ensemble, de partager, d’offrir du plaisir aux autres. Ce qui n’exclut pas une exigence accrue au fil des années d’expérience. »
Les huit pièces présentées aux Rencontres par les jeunes, au nombre de 67 à ce jour, ont été écrites et mises en scène par Laurent Kiefer. On y retrouve avec jubilation son humour rosse, la virtuosité de son langage. Les titres à eux seuls sont tout un programme : « La Tête coupée ! », « Le Problème avec grand-mère », « Pupuce zombie » - il a osé !
Cette année Entr’acte a également accueilli les élèves des classes de CM2 de l’école du Petit Lac dans le cadre d’un atelier organisé avec l’amicale des Parents d’Elèves.
Quant aux « Grands » d’Entr’acte, qui se sont frottés avec succès à un genre doux amer auquel Laurent Kiefer nous avait moins habitués, avec la pièce « Tom est tranquille ». Ils travaillent activement sur des projets visant à faire confluer différentes pratiques artistiques. L’année prochaine sera-t-elle l’occasion de présenter ce nouveau projet ?

L’Aparté, créé en 2008, est présidé par Véronica Hidekel qui a succédé à sa maman, Mona, à son décès.
Sur les conseils de Marylène Derozières, le groupe d’une dizaine d’adultes s’est rapproché de Laurent Kiefer qui a accepté de venir les coacher dès la rentrée 2008. L’aventure théâtrale est repartie.
Ce noyau dur de fidèles aux Rencontres et à Cabriès s’est aussi produit bénévolement pour des associations caritatives, Secours Catholique, Association de lutte contre la Mucoviscidose, Téléthon, etc.
Aux Rencontres 2014, avec « Impair et père » de Ray Cooney, l’Aparté nous a réjouis d’un petit bijou de quiproquos et de mensonges en série, à la mise en scène efficace et nerveuse de Laurent Kiefer, joyeusement interprété par la petite troupe en totale complicité avec le public.
Le Mondial du Brésil est resté sur la touche !

Laurent Kiefer, qui enseigne par ailleurs, consacre une bonne moitié de son activité professionnelle à notre commune pour notre plus grande satisfaction. S’il se produit quelquefois sur scène, toujours avec plaisir, son bonheur est de partager son expérience avec les enfants.

 

Laurent Kiefer, Entr’acte et l’Aparté : on en redemande !

 

 merci à Hélène Martin,
pour cet article (2014) publié dans La Cabre d'Or n°98,
revue municipale de la commune de Cabriès Calas

LES FOLLES D'ENFER DE LA SALPÊTRIÈRE (2013-2015)

En 1656 un édit de Louis XIV soutenait la création de l’hôpital général. Quelle belle institution ! La pauvreté faisait bénéficier d’un internement applaudi par les dévots et âmes pieuses qui apprécient tant que tout soit bien organisé. Vous étiez pauvre, seul, mendiant, sans domicile, et le doux foyer de l’Hôpital Général vous accueillait. Cette bonne œuvre s’étendait bien sûr aux femmes, les tenues pour idiotes, les hystériques, les folles, les démentes, les infidèles, les « de petite vertu », les gênantes dont on veut se débarrasser pour un héritage ou d’autres motifs tout aussi importants… à la fin du XIXème siècle, on leur organisait même un bal -n’est-ce pas humain ? Cendrillon y avait droit à sa belle robe et à tous les déguisements- « le bal des Folles de la Salpêtrière », fort couru durant le carnaval par toute une société venue s’étonner, se divertir, connaître le délicat frisson de la fréquentation de l’interdit… on leur accordait une dignité par le travail si l’on considère le véritable esclavage de ces petites mains qui s’échinaient sur les travaux de couture d’entretien des bâtiments. Douche froide parfois pendant 12 heures d’affilée (les économies d’eau ne sévissaient pas encore), coups, camisoles de force, confinement, excision, on a du mal à imaginer la violence brute des traitements subis et ce jusqu’au XXème siècle !  Micheline Welter avec la Cie Fragments met en espace le texte de Mâkhi Xenakis, Les folles d’enfer de la Salpêtrière (paru chez Actes Sud en 2004). Texte terrible qui, sans pathos, décrit l’enfermement forcé, le mélange entre hôpital, maison de rééducation pour délinquants et d’éducation pour jeunes filles pauvres, prison, asile d’aliénés… un chœur de femmes, volontairement des actrices amateures, afin de souligner la fragilité des malheureuses prisonnières de cet enfer, raconte avec la diction blanche des acteurs de Bresson, aligne les chiffres, les dates, comme autant de couperets. Déchiffrement de la mémoire des registres, noms des occupantes des dortoirs, fragments de vies… là, une enfant de 7 ans, idiote, ici, une femme de 30 ans démente…On est happé, soufflé par les énumérations, les détails, l’horreur clinique des faits. Les lumières de Raphaël Verley et la création sonore bouleversante de Laurent Kiefer accordent à cette œuvre coup de poing une intensité rare.  

 

Maryvonne Colombani

Journal Zibeline. Article mis en ligne le 15 novembre 2013  

Fragments d'enfer au Bois de l'Aune. Scène épurée, plongée dans un clair-obscur qu'un texte poignant éclaire petit à petit. Ici on plonge en 1656 date à laquelle l'édit de Louis XIV crée l'enfermement généralisé à la Salpêtrière, un enfer pour les milliers de femmes et jeunes filles,  parmi tant de vagabondes ou de mendiantes emprisonnées contre leur gré. Le pêché ? Prostitution, timidité, peut, mélancolie, épilepsie, vols (etc.) , lorsque ce n'est pas à la demande du mari. Une maison de force sans nom, où les jeunes filles orphelines étaient soumises à des noces. Six comédiennes, professionnelles ou amateures, sous la direction de Micheline Welter et Laurent Kiefer de la compagnie Fragments livrent avec tout l'effroi qu'il comporte ce texte bouleversant.

 

Journal La Marseillaise, 8 novembre 2013

Dans le cadre de Scènes d'Automne, le texte de Mâkhi Xenakis a été joué au Bois de l'Aune hier. Saisissant...  Des femmes en blouses d'hôpital avancent dans le silence. Et pourtant, elles crient. Leurs mouvements sont lents, mesurés, et pourtant, elles se débattent comme des folles. Un bourdonnement accompagne leurs pas, dans une chorégraphie soignée. Folles d'enfer de la Salpêtrière... Le texte est de Mâkhi Xenakis, la mise en scène de Micheline Welter, directrice de la compagnie Fragments.

" Une amie m'a offert ce livre il y a plusieurs années, en me disant : 'tiens, c'est un texte pour toi', se souvient-elle. Je l'ai lu et je l'ai rangé dans ma bibliothèque. Et puis j'ai déménagé, emportant seulement quelques livres. Celui-ci en faisait partie." Dans le même temps il est question d'une création autour de la lecture au Bois de l'Aune, dans le cadre de Marseille Provence 2013. Mais c'est bien sûr.... Tout à coup ce texte ressurgit, tel le cri d'une femme qu'on a enfermée et battue.

Les Folles d'enfer de la Salpêtrière est né d'une commande, à Xenakis, de sculptures pour la chapelle Saint-Louis de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Un travail d'archives s'engage, intense, exigeant. Des manuscrits inédits font surface, autour de ces femmes enfermées là, depuis Louis XIV jusqu'à Charcot. La sculpture se transforme en mots : comme un devoir qui s'impose à elle, Xenakis écrit un livre.

Comme une évidence, Micheline Welter en fait un spectacle. "Il était important que les femmes soient des amateurs. On a constitué un groupe, certaines n'ont pas pu aller au bout de ce texte extrêmement exigeant, avec les autres, on a travaillé très dur."  Et le plus dur n'était pas de faire jouer le texte mais plutôt d'enlever le jeu, jusqu'à toucher les mots au plus près. Tel Rodin qui pensait que la sculpture était déjà dans le marbre. Micheline Welter considère que le théâtre est déjà dans les mots de Xenakis. " Le travail avec les comédiennes a été véritablement d'éliminer toute trace de pathos, d'intention : je voulais quelque chose de très pur. "

Et elle y est arrivée, à force d'exigence. Avec l'aide du pianiste bien sûr qui accompagne ces Folles d'enfer de la Salpêtrière entre musique baroque, contemporaine et jazz. Et avec l'aide surtout de ces superbes comédiennes amateurs que cette pièce aura sans doute fait basculer, dans le monde des pros...

 

Nadia Tighidet

La Provence du 6 novembre 2013

LETTRES DES ÎLES GIRAFINES (2011-2012)

Sacrée performance ! Il est sorti de son livre : Lord Marmaduke Lovinstone le grand explorateur, a été le héros d'un spectacle qui a emporté le public de la salle Jean-Monnet, vers le pays imaginaire du "Girafawaland". A travers les lettres du Lord anglais, on suit la progression de l'expédition d'explorateurs, au début du siècle dernier, à la découverte du peuple mythique des "girafawaras" qui vit en symbiose parfaite avec ses girafes. L'exploration se transforme en colonisation avec tous ses excès jusqu'à leur extermination complète. Seul sur scène, le comédien Laurent Kiefer campe un Lord Marmaduke arrogant, à l'humour grinçant, qui plutôt que de douter de ses actes, finit par sombrer dans la folie. Une sacrée performance d'acteur, saluée par le public. Créé par la compagnie "Fragments" et dans le cadre d'une tournée CPA, ce spectacle mis en scène par Micheline Welter est issu de l'album d'Albert Lemant "Lettres des Isles Girafines" (Seuil Jeunesse).

 

Article publié dans le quotidien La Provence, le 12 novembre 2012  

Laurent Kiefer joue la comédie et donne des cours

 

La Compagnie Fragments présente sa création 2012 : "Lettres des Isles Girafines" demain à 20h30 à la Trébillane, L'Oustao per Touti. La mise en scène est de Micheline Welter avec Laurent Kiefer. Ce dernier est bien connu sur la commune. Il assure depuis plusieurs années l'animation d'ateliers de théâtre pour jeunes et adultes de plusieurs associations de théâtre comme Entr'acte et L'Aparté. La scénographie et la conception graphique de la pièce sont réalisées par Véronique Nicolas-Lauze, la lumière et la régie par Jocelyne Rodriguez, la communication et la diffusion par Carole Jouannic. La Compagnie propose "Lettres des Isles Girafines", d'après l'album d'Albert Lemant, pour tout public à partir de 10 ans. C'est un voyage merveilleux et terrible à la fois...

En 1912 commence une épopée fantastique, qui durera cinq ans, dans les Isles Girafines. A travers les lettres de Lord Marmaduke Lovingstone, parti à la recherche du peuple mythique des Girafawaras, le monde du Girafawaland se dessine. Emerveillé par ses découvertes, l'explorateur emmène ses troupes, peu à peu, vers la folie. 

Vrai ou faux récit d'explorateur, on découvre le territoire des Girafawaras, leur civilisation. On décèle bientôt les indices d'une véritable colonisation. C'est finalement à l'extermination des girafes et des peuplades du Girafawaland qu’œuvrent ces Anglais. Drôle, féroce, loufoque, destiné aux enfants et aux parents, c'est un voyage merveilleux et terrible à la fois.

 

Article publié dans La Provence du 22 septembre 2012

 

 

HISTOIRE DE MON CORPS (2007-2009)

Hervé Guibert
Hervé Guibert

Hervé Guibert, journaliste homosexuel et séropositif décédé à l’âge de 36 ans des suites d’une tentative de suicide, a marqué son court passage ici-bas par son arrogance, son narcissisme, son entêtement…peut être tout simplement par son incroyable franchise. Histoire de mon corps est celle de sa vie, de sa lente déchéance, de ses périodes de doute, de dépression et de complaisance dans ce mal. C’est le journal d’un Etre duel à la psychologie complexe qui, plus de dix ans après sa mort, fascine autant qu’étonne. Un Etre qui, abandonné par ce corps qui l’entraîne inexorablement vers la mort, décide d’en raconter l’histoire puisque sa vie spirituelle demeure à présent liée au devenir de celui-ci.
Cette pièce, à l’image de l’auteur, est emplie d’un humour brut, à froid, sans concession. Un humour qui se joue de tout et même de la mort, un humour qui fait rire autant que pleurer. Cette oeuvre est le parcours de cet ange déchu, promu à un brillant avenir, si la vie n’en avait pas décidé autrement. Histoire de mon corps est un conte cruel, celui de sa vie…de la naissance à la mort. Des moments de douceur, souvenirs de la petite enfance où le rapport à ses parents n’était qu’amour et volupté. Une époque où son corps n’était que bien-être en opposition franche avec les douleurs provoquées par les traitements contre le sida. Un lien qui, avec les années, se transformera en une rancoeur et une haine froide où Hervé s’imaginera même à plusieurs reprises les tuer pour être libre. Puis arrive la période ingrate de l’adolescence, celle où l’on se cherche. La découverte d’une homosexualité devenue évidente ; la difficulté d’en parler à ces parents, devenus plus étrangers que de véritables inconnus. Son mal-être grandissant avec l’âge, il sera à la fois tourmenté par ses successives conquêtes et complaisant dans cet équilibre toujours bancal.
Ecrivain, journaliste et photographe, son premier amour restait néanmoins l’écriture. Cette nécessité de trouver le mot juste, celui qui donnera le ton, le réalisme à l’émotion, ce mot unique qui seul à sa place dans cette phrase. Cette passion de la littérature où lire quelques lignes d’un livre puis le refermer procure une jouissance indescriptible, cet amour des mots qui plus que tout donne le sentiment d’être vivant ! Hervé Guibert était un écrivain de l’absolu, condamné par la vie, il fallait écrire pour l’usurper, lui faire un pied de nez pour lui montrer que le sort n’est rien. Guibert était un « trompe la mort » comme disaient certains. Un homme qui, à la différence de Thomas Bernhardt ou Albert Camus tout deux atteints de la tuberculose qui ont utilisé leur maladie pour parler de la mort, lui utilisait l’écriture pour la braver. Non, il n’a jamais été victime du sida ! Le sida c’est la manifestation incroyable et inattendue de son véritable désir de mourir…Comme un cadeau venu le délivrer de cette vie qu’il qualifiait « d’horreur merveilleuse »…Voici toute l’ambivalence du personnage qui, tenace et dépravé, ira même jusqu’à filmer son atroce déchéance depuis son lit d’hôpital. Un trait de personnalité que reprend avec dextérité cette adaptation lorsque l’on croit Guibert mort et où il se relève brusquement en criant dans une diction entrecoupée d’un rire nerveux « Je suis heureux, Je suis heureux »…
Cet Etre atypique, éternel adolescent, torturé et génialissime…difficile à représenter par la complexité de sa psychologie a été joué avec un talent démesuré, presque insolent par Laurent Kiefer de la Compagnie Le Studio de l’aube. Racontant cette lente décadence avec lucidité et détachement, à la manière de Guibert, le public a été progressivement attendri, touché puis carrément bouleversé. Dans ce plateau plongé dans une quasi obscurité, reflet du ton de la pièce, le décor est presque absent mais Laurent Kiefer occupe avec une aura démentielle tout l’espace. Seuls subsistent une photo de Guibert enfant, une chaise et cette couverture blanche, doudou de l’enfance, venu stigmatiser ce désir d’éternelle jeunesse. Une mise en scène juste et suffisante pour une prestation de génie de laquelle Laurent Kiefer sortira d’ailleurs bouleversé, les larmes s'annonçant à la commissure de ses yeux. Preuve que les compagnies de théâtre régionales possèdent de bien belles ressources, où l’émotion tel un leitmotiv est à son apogée...

Article de blog publié le 1er juin 2007 sur :   

http://vie-en-kaleidoscope.blogspot.com/2007/06/histoire-de-mon-corps.html

Laurent Kiefer porte Guibert à fleur de corps

 

Hervé Guibert, en écrivant sur plusieurs livres le journal de sa propre vie, pensait-il à son adaptation possible à la scène ? Lui qui, dès l'adolescence, avait succombé autant aux planches de théâtre qu'au charme des garçons ? Lui qui, autant par nécessité que par goût, se voua à cette auto-fiction désormais en vogue dans la littérature hexagonale ?

Laurent Kiefer, acteur hélas trop discret dans le paysage régional, a franchi le pas, quinze ans après le décès de l'écrivain et journaliste, terrassé par le Sida fin 1991. Par son jeu revit, le temps d'un solo marathon de 2h30, celui qu'il considère comme "un auteur majeur, un modèle de finesse, d'intelligence et de courage".

Depuis deux ans, Laurent a puisé dans la vingtaine d'ouvrages publiés matière à Histoire de mon corps, un récit intimiste donné en partage, jusqu'à hier, au Théâtre du Tétard.

Des plus de 4 000 pages, il fait remonter à la surface les souvenirs d'enfance, le poids de parents particuliers, la sœur, les vieilles tantes, les premiers émois, la carrière de journaliste au Monde, les amitiés de Michel Foucault ou Isabelle Adjani.

Il fait rejaillir le tempérament, le caractère, le culot qui caractérisaient cet être à part. Insolent, insoumis, qui put irriter dans sa manière d'aborder, le premier, cette maladie de manière frontale et radicale. Bien avant les trithérapies et une meilleure connaissance médicale du syndrome.

Ici, la parole entendue dépasse le corps Guibert et semble par instant submerger l'homme Laurent qui, derrière l'acteur Kiefer, tangue sur ces mots porteurs d'émotion et d'authenticité.

 Patrick Merle

Article publié dans le quotidien La Provence, le 28 mai 2007